Le lexique autour des sargasses, les macro-algues brunes flottantes se déplaçant sous l’effet des courants marins, de la marée et du vent et pouvant, en se décomposant en absence d’oxygène, produire de l’ammoniaque (NH3) et du sulfure d’hydrogène (H2S) est souvent toujours le même, surtout de la part des moins précis et des plus hypocondres et alarmistes.
Ce lexique est en grande partie composé de fausses informations, de mauvaise compréhension des processus marins et de procès d’intention envers les pays émergents.
Mais entre 2018 et 2019 un mot a changé provoquant un chambardement de la perception des sargasses à la côte, la peur de faire une faute et de nombreuses difficultés à l’oral comme à l’écrit. Le mot « échouage » a été remplacé dans les messages officiels par « échouement ».
On peut se demander si ce changement de vocabulaire se justifie et aide vraiment à une meilleure représentation de ce phénomène naturel.
Première définition
La définition donnée au mot échouage et au mot échouement par le Larousse [www.larousse.fr] est :
Échouage, nom masculin
- 1. Contact avec le fond d’un navire en stationnement, par suite d’un abaissement du niveau de l’eau.
- 2. Endroit où un bateau, une embarcation peuvent s’échouer sans danger.
- 1. Arrêt brutal et fortuit d’un navire en marche, qui heurte le fond.
Le site Internet du Larousse prend soin d’indiquer les usages de ces deux mots :
- Échouage : action d’échouer volontairement un navire (pour en réparer la coque, par exemple) ; endroit où un navire peut s’échouer sans danger.
- Échouement : échouage involontaire.
Cette première définition laisse penser qu’un échouage serait volontaire et un échouement involontaire donc que l’arrivée des sargasses serait accidentelle, involontaire voire aléatoire. Cette vision ne se vérifie pas sur le terrain, les zones d’échouages momentanés et durables sont connues depuis 2014 dans toute la Caraïbe et sont toujours les mêmes. Elles correspondent toutes à des zones où naturellement les algues et les déchets plastiques et végétaux flottants peuvent échouer pendant une marée basse, durant une période de panne de vent ou durant le passage d’un anticyclone. En météorologie, le passage d’une dépression atmosphérique ou d’un cyclone produit une élévation du niveau de la mer dite surcote, à l’inverse le passage d’un anticyclone provoque une diminution du niveau de la mer.
Deuxième définition
Sur le site Internet Le Robert (Dico en ligne) on trouve une seconde définition :
Échouage, nom masculin
- Situation d’un navire qui touche accidentellement ou intentionnellement le fond et cesse de flotter. Port d’échouage, dans lequel les navires doivent échouer à marée basse (par analogie) échouage de cétacés.
Échouement, nom masculin
- Arrêt accidentel (d’un navire) par contact avec le fond.
Cette seconde définition indique que le terme échouage correspond à une action volontaire ou involontaire qui pousse à arrêter de flotter, ce qui est le cas des algues pélagiques sargasses qui cessent de flotter dans certaines zones, par manque d’eau mais aussi suite à la perte de leurs flotteurs (pneumatocyste) durant sa phase de dégradation. La définition du Robert associe aussi l’échouage au port d’échouage, c’est-à-dire des lieux permettant aux bateaux d’être à sec à marée basse, ce qui est le cas de beaucoup des zones impactées par les sargasses. On peut citer les petits ports, tel celui de Capesterre-Belle-Eau, et les zones de mangrove telle celle du bourg de la commune de Goyave.
Troisième définition
Une troisième référence peut être utile pour éclairer le choix du terme à utiliser. Le site Internet du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales nous donne :
Échouage, substantif masculin (1674)
- Terme maritime : Fait pour un navire d’échouer par accident ou volontairement. […]
Échouement, substantif masculin (1626)
- Terme maritime : Action d’échouer un navire ; résultat de cette action. (Quasi-)synon. échouage. […]
Les deux termes sont considérés comme quasi-synonyme, les définitions associent la notion d’échouer à un navire dans une zone adaptée à leur mise à sec. Le terme échouement semble plus ancien que celui d’échouage.
Qu’en penser
Le choix de mettre le terme échouement en avant est intervenu à une période d’échouage intense (2018-2019) durant laquelle l’engagement de l’État Français a été fortement mis en cause. Le « plan Sargasse 1 » n’avait pas encore été totalement mis en action, les moyens pour soutenir les collectivités étaient insuffisants. La population était livrée à elle-même et très en colère après plus de six années de promesses non-tenues et d’espoirs dans des technologies diverses anéantis par la réalité du milieu marin (Plan sargasse II). Utiliser un vieux terme françois a sans doute fortement contribué à atténuer la perception négative des arrivées des algues pélagiques sargasses sur les côtes de la Guadeloupe et de la Martinique. L’utilisation d’un mot non commun a perturbé et perturbe plus d’une personne quand il faut exprimer ses sentiments face à des situations de pollution olfactive, aquatique et visuelles considérables.
La langue française est une langue construite pour imposer l’unité d’un ensemble de nations très diverses. Puis elle a été utilisée pour construire un empire et maintenant pour conserver ses restes coloniaux appelés francophonie. La peur de la faute d’orthographe ou de vocabulaire est l’arme ultime du français qui pousse à se taire plutôt que de passer pour un ignorant ou un illettré. Ce n’est pas un ancien écolier diagnostiqué dyslexique qui pourrait contredire cette réalité.
En conclusion
La notion d’échouage n’étant pas fausse et du fait qu’elle est associée à des phénomènes naturels et observables comme les échouages de baleines ou de poissons mais aussi aux phénomènes d’origine anthropique comme les échouages de déchets flottants, mon choix est fait de n’utiliser que le terme « échouage ». Je laisse le terme « échouement » à ceux qui se préoccupent plus de la forme que du fond du problème.
En fin de compte, le passage d’échouage à échouement n’a pas amélioré la situation des populations exposées aux gaz de décomposition sans oxygène des sargasses mortes (fermentation) à cause des eaux côtières de mauvaise qualité, insuffisamment renouvelées où sont relarguées les eaux d’épuration non-traités. Elle n’a pas amélioré l’état des plages sensibles où le ramassage des algues mortes s’effectue au tractopelle plutôt qu’à l’aide de méthodes dynamiques imitant et respectant la nature. Elle n’a pas amélioré notre gestion du littoral qui ressemble tous les jours encore plus à l’échouement d’un empire néo-colonial où le savoir et le droit à l’initiative éclairée semble s’accumuler autour d’une gyre océanique-intellectuelle centrée sur Paris.
Jean-François, Marc DORVILLE Docteur es. Mécanique des Fluides, spécialiste en Génie Côtier
Hypocondre (définition) Pathologie. Atteint d’hypocondrie. Syndrome caractérisé par des préoccupations excessives et angoissées du sujet sur son état de santé en rapport avec des sensations subjectives