Commentaires de TCGNRG sur la PPE de Guadeloupe 2023-2033

Les (PPE) Programmations Pluriannuelles de l’Énergie définissent l’orientation et la méthodologie à appliquer par territoire pour gérer la production et la consommation d’énergie au sens large. Elles se déclinent différemment d’un territoire géographiquement isolé à l’autre.

Au niveau français la PPE dite de métropole continentale (hors territoires non connectés, Corse et DROM-COM donc indépendant) comprend des volets relatifs[1]:

  • à la sécurité d’approvisionnement
  • à l’amélioration de l’efficacité énergétique et à la baisse de la consommation d’énergie
  • au développement de l’exploitation des énergies renouvelables et de récupération
  • au développement équilibré des réseaux, du stockage, de la transformation des énergies et du pilotage de la demande d’énergie
  • à la stratégie de développement de la mobilité propre
  • à la préservation du pouvoir d’achat des consommateurs et de la compétitivité des prix de l’énergie
  • à l’évaluation des besoins de compétences professionnelles

Sans présager des dispositions qui seront prises par le territoire guadeloupéen pour la période 2023-2033 sous la responsabilité de la Région Guadeloupe, on peut s’attendre à retrouver ces grands thèmes complétés avec les problématiques spécifiques à un territoire insulaire tropical de petite taille sans réserve d’énergies fossiles.

La PPE de Guadeloupe est en cours de révision pour la période 2023-2033. La présentation publique du 1er mars 2023 a permis de faire un point d’étape sur la préparation de ce document important pour l’approvisionnement futur des énergies électriques et fossiles à la Guadeloupe. Le document mis à disposition laisse pensif, une présentation au format diapositif ne constitue en aucun cas un document de travail pertinent. Le calendrier prévoit une approbation par le Conseil Régional en avril 2023, une validation par la Direction Générale de l’Énergie et du Climat ainsi que par les autorités environnementales françaises entre les mois de juin et d’août 2023 pour une mise à disposition du public en octobre et une adoption finale en novembre de cette année.

La faible quantité d’informations mises à disposition permet malgré tout de lister les faiblesses de la vision actuelle de la PPE et les points à travailler et à renforcer d’urgence pour éviter la catastrophe des politiques sur l’énergie et la mobilité imposées depuis Bruxelles et Paris et qui ne semblent pas adaptées au pays Guadeloupe.

La première interrogation vient des prévisions effectuées sur les besoins énergétiques à l’horizon 2040 avec deux scénarios qui ont un écart de 12 % en 2028 et 24 % en 2040. Cette différence indique qu’en fonction des deux hypothèses, les changements pour répondre aux besoins énergétiques futurs de la Guadeloupe pourraient être de l’ordre d’un quart d’énergie à produire en plus. Trouver les surfaces disponibles pour produire un quart d’énergie en plus est difficile sur un petit territoire archipélagique comme celui de la Guadeloupe où des conflits d’usage existent déjà entre l’urbanisme, l’agriculture, la préservation de la biodiversité et du patrimoine, la protection des milieux naturels, des sites et des paysages. Les deux modèles sont basés sur deux paramètres principaux, l’évolution de la population et le développement des véhicules électriques et hybrides rechargeables.

Nous ne sommes pas à l’abri d’une catastrophe naturelle qui nous oblige à accueillir 20 à 30 000 habitants d’une île voisine. Par contre le développement imposé des véhicules électriques ne devrait pas déstabiliser notre réseau électrique. Une adaptation des mesures européennes doit déjà être étudiée afin d’éviter une catastrophe sociale, économique et humaine.

Les pistes à approfondir

Seules deux ressources endogènes existantes sont susceptibles de répondre au challenge du besoin d’énergies à faible impact environnemental et climatique dans l’archipel de la Guadeloupe : la géothermie ; et le photovoltaïque sur l’ensemble des toitures des bâtiments et maisons individuelles. Il est essentiel que ces deux sources de production matures soient clairement mises en avant avec un soutien aux différents niveaux, formation des acteurs et des futurs acteurs, sensibilisation de la population, production et recyclage des outils de production, c’est-à-dire les panneaux photovoltaïques et les centrales géothermiques.

Énergie éolienne

Les propositions d’objectifs révisés semblent pour l’ensemble des propositions surévaluées exception faite pour la géothermie et le solaire photovoltaïque. Les récents conflits autour de l’extension de la ferme de Dadou à Petit-Canal montrent que la limite d’acceptation de l’implémentation de fermes éoliennes terrestres de taille industrielle en Guadeloupe a été atteinte. Les objectifs proposés sont irréalistes et déconnectés de la réalité du territoire qui ne peut en même temps prôner la protection de la biodiversité et développer une technologie à fort impact environnemental.

Énergie hydraulique

Les évolutions climatiques (assèchement de l’atmosphère en zone tropicale) et les besoins en eau grandissant pour le maraîchage et le tourisme, rendent la ressource en eau de plus en plus fragile et limitent la production annuelle d’énergie hydraulique. De nouveaux moyens de production peuvent être installés, mais la production annuelle a peu de chances d’augmenter. Il est illusoire de s’appuyer sur cette ressource et d’altérer encore plus le cycle de l’eau en Guadeloupe en installant de nouveaux dispositifs sur le réseau des rivières et des retenues d’eau.

Biomasse

L’utilisation de la biomasse endogène pour la production d’énergie est en conflit direct avec les besoins de (re)nourrissement des sols (paillage, compost) et la production de charbon actif dont les besoins sont grandissants sur un territoire où une large partie des zones de prélèvement d’eau est contaminée entre autres par le chlordécone. Cela implique que les 266 MW prévus en 2033 seront d’origine exogène, ils impacteront négativement le bilan carbone de la Guadeloupe et n’amélioreront pas son indépendance énergétique.

Mobilité et hydrogène

La démarche actuelle vise à faire le réseau électrique guadeloupéen absorber une grande partie des besoins en déplacement. Cette démarche est inquiétante vu la forte instabilité de ce dernier. La répartition géographique des moyens de production stable (centrale thermique et géothermique) sur le territoire le rend très sensible aux risques naturels en particulier les inondations et les submersions marines dans la zone humide et basse de Jarry.

La mobilité étant jusqu’à récemment extérieure au réseau électrique, il serait plus judicieux de concevoir un réseau de rechargement des véhicules électriques et hybrides autonome et déconnecté du réseau principal. Le potentiel dévoilé de l’hydrogène permet d’être confiant dans la forte croissance de la mobilité à pile à combustible. Cette démarche permettra d’éviter la mise en place de monopoles et de favoriser les solutions locales.

La place du citoyen

Les bons résultats des campagnes de sensibilisation à la maîtrise de la consommation sont une preuve de l’importance du citoyen dans la résolution de l’équation production – consommation, et pas uniquement comme acteur de la maîtrise et de la réduction de la consommation d’énergie. Le conflit de Dadou, Petit-Canal autour de l’installation d’éoliennes de grandes dimensions sur des terres agricoles montre bien qu’aucun projet ne peut aboutir sans l’acceptation de tous. Des outils de démocratie participative doivent être mis en place dans le cadre de cette PPE afin que le peuple de Guadeloupe puisse concevoir ses nouvelles façons de consommer, de produire et de se déplacer. Ces outils doivent comprendre de la formation, de la sensibilisation, de la participation à des études et à la prise de décision.

Élément de conclusion

Pour conclure, il est étonnant que la structure du modèle de la PPE de la métropole continentale n’apparaisse pas déjà. La Guadeloupe territoire énergétique autonome n’est pas pleinement abordée. Seules les prévisions des valeurs de la puissance productive sont mises en avant avec des questions sur l’évaluation des impacts socio-économiques et des réflexions à venir sur l’organisation de la mobilité. Les effets sur l’environnement, le bilan carbone, le coût de l’énergie et de la mobilité ne semblent pas avoir encore été réfléchi.

Au final il manque la voix du peuple, la volonté des guadeloupéen.ne.s, des citoyens de faire l’énergie de demain. Et cela, avec toutes les conséquences que cela signifie en matière de pollution, gestion de l’espace, environnement, développement, innovation, risques et indépendance. J’appelle donc à revoir le calendrier et à rajouter une étape avec une consultation populaire éclairée.

Jean-François, Marc DORVILLE, docteur es Mécanique des Fluides

Consultant en Géophysique, chef d’entreprise
Ancien enseignant-chercheur à l’Université de Bretagne Occidentale et des Antilles-Guyane
Ancien lecteur à l’Université des West Indies, campus de Mona et responsable du groupe sur les Énergies Renouvelables

Baie-Mahault, le 15 mars 2023

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[1] https://www.ecologie.gouv.fr/programmations-pluriannuelles-lenergie-ppe
[2] PPE 2023-2033 : SÉMINAIRE DE RESTITUTION GRAND PUBLIC LE 1ER MARS 2023